[Le caprice complice du destin.] ft Hawke Hawthorn

Le mois d’Avril était encore frais malgré que les jours se soient rallongés. Je glissa une mèche de cheveux folle derriere mon oreille. Le soleil commençait à peine à se coucher et de divines couleurs rosées orangées coloraient le ciel de leur lueur printanière, donnant à Coldmyst un aspect mystique. M'arrêtant quelques instants, je ferma les yeux une seconde et souffla longuement, appréciant pleinement cet instant de calme et de silence. Le Grand Conseil n'était pas l’endroit le plus tranquille du monde et après avoir passé la journée à observer une centaines de personnes a crier, se précipiter, courir et se disputer, j'appréciais cet instant de quiétude. Je repris ma marche, ne sachant nullement où cette dernière allait me conduire.

La réponse m'apparut comme une évidence. Mon regard accrocha une taverne de l’autre côté de la route. Les lueurs du ciel se reflètent dans les vitres et une musique langoureuse trottine dans la rue jusqu'à mes oreilles. Comme hypnotisée, je traverse la rue pour m’en approcher. Je n’y ai jamais mis les pieds, je suis passé par là déjà des centaines de fois pour rentrer chez moi et pourtant je n’ai jamais été attirée par cet établissement avant aujourd’hui. J’aimais croire en cet instant que le destin y avait mis du sien ce jour-là. J’haussa les épaules et poussa finalement la porte. À l'intérieur, il faisait chaud et une petite dizaine de personnes étaient dispersées ça et là, discutant et grignotant quelque chose. Je m’approcha du bar et m’y installa tout en commandant un verre de vin.

Alors que le soleil commençait à décliner à l'horizon, le bar commençait à se remplir doucement, pour le plus grand plaisir du propriétaire des lieux qui se tenait derrière le bar, observant son collègue et ami alors qu'il s'employait à servir les diverses commandes qui lui parvenaient. Lorsqu'il avait décidé d'ouvrir cet établissement, plusieurs centaines d'années auparavant, il lui avait paru logique de proposer à Raph de se joindre à lui et tout aussi logique à ce dernier d'accepter. Ils formaient, ensemble, un binôme redoutable dont la principale force résidait dans le fait qu'ils se connaissaient par coeur. Normal, lorsque l'on se connait depuis plusieurs centaines d'années, cela dit. Contournant le bar, Hawke se plaça devant son partenaire et lui indiqua d'un mouvement du doigt qu'il souhaitait un verre. Il n'avait nul besoin de préciser la boisson qu'il désirait, Raph savait pertinemment qu'à cette heure ci, le Séraphin ne désirait rien d'autre qu'un bon verre de whisky.

Il remercia son collègue d'un signe de tête et porta son verre à la bouche, avalant une belle lampée de sa boisson. Le liquide lui arracha un sourire satisfait, peu sensible à la morsure brûlante que provoquait un tel breuvage en descendant dans sa gorge. Avant sa venue sur terre, il n'avait jamais compris l'engouement des autres espèces pour ce type de boisson. Désormais, il ne parvenait plus à s'en passer. Non pas qu'il y soit accro, loin de là, mais il n'appréciait rien de plus qu'une bonne soirée à la taverne avec ses proches.
Il s'apprêtait à prendre une nouvelle gorgée lorsqu'une présence à côté de lui attira son attention. Son regard accrocha celui d'une nouvelle cliente, qu'il n'avait jamais vu jusque lors, et le Séraphin l'observa sans mot dire tandis qu'il tentait de la remettre. Car indubitablement, il l'avait déjà vue. C'était l'éclat de son regard, surtout, qui semblait lui avoir marqué l'esprit. Alors qu'elle commandait un verre de vin, Hawke échangea un regard avec son collègue, qui avait remarqué son intérêt étrange pour la nouvelle venue, puis attrapa son propre verre avant de lâcher :

"Excellent choix, si je puis me permettre. Rien de tel qu'un bon verre de vin pour achever une longue journée."

J’observa l’homme en face de moi pendant qu’il attrapait le verre de vin, saisissait la bouteille de vin, la faisant tournailler dans le creux de sa main d’un geste habile. Manifestement, il faisait ça depuis longtemps ou tout du moins il le faisait avec passion. Je n’arrivais pas à mettre le doigts dessus mais j’étais persuadée de l’avoir déjà rencontré quelque part. J’avais souvent cet effet là mais j’imagine qu’à plus de 2000 ans d’existence, ce genre d’effet pouvait être vu comme normal. Peut être était-il séraphin, peut être l’avais-je déjà croisé en tant de guerre, peut être après, durant mes dizaines de vies différentes. Tellement de peut être.

Après m’être enfuie de chez moi, j’avais pris l’habitude de changer de nom et d’endroits où vivre tous les 200 ans, par mesure de sécurité. Je savais que les trois hauts commandants du gouvernement séraphin me recherchaient… On est jamais trop prudent. C’est ce qui m’avais amené à rencontrer plein de monde, à voir plein d’endroits et bien sûr à ne jamais conserver mes relations, si rares puissent t-elles être de toute façon. On ne s’attache pas aux gens quand on sait que la relation prendra inévitablement fin à ce moment donné. Question de logique. Question de cœur aussi. On cherche à éviter la souffrance après avoir déjà trop souffert. Le cœur peut t-il survivre à trop de malheur ? Peut être. L’âme, elle, se détériore inexorablement.

Je lui adressa un signe de tête lorsqu’il déposa mon verre de vin devant moi. J’attrapa le verre, faisant tourner le liquide transparent à l’intérieur avant de le goûter. Hum. Délicieux. Quel plaisir que de boire du bon vin trié sur le volet par de bons connaisseurs.

Plongée dans mes pensées, je ne remarqua par l’homme qui s’avançait vers moi avant que celui ci ne m’adresse la parole. Mon cœur sembla s’arracher de ma poitrine lorsque mon regard accrocha son visage. Je repris mon souffle au bout de quelques instants d’apnée, ne daignant même pas lui répondre avant de retourner la tête. Je devais peut être songer à m’enfuir immédiatement…

Hawke n’avait pas vraiment l’habitude d’être éconduit par une femme. Et encore moins de la laisser totalement indifférente. Non pas que cela puisse l’affecter d’une quelconque manière, il n’était pas homme à se formaliser de la perte d’une demoiselle. Il était suffisamment conscient de ses atouts et sûr de lui pour savoir que si une lui tournait le dos, il en trouverait certainement pléthore derrière. Alors lorsqu’il constata que la nouvelle venue avait simplement détourné le regard, il ne s’en trouva que davantage intrigué. Pas particulièrement par son absence d’intérêt qu’elle tentait visiblement de démontrer, mais plutôt par ce malaise aussi brutal que bref qu’il crut percevoir dans son regard lorsque le sien l’avait croisé. Et c’était cette étincelle de surprise teintée d’inconfort qui venait de titiller avec insistance sa curiosité, pour le plus grand malheur de la jeune femme qui apprendrait bien vite qu’on ne pouvait échapper longtemps à la curiosité du Séraphin, une fois celle-ci attisée.

Il posa sur elle un regard intense, la détaillant sans s’en priver pendant ce qui sembla être une éternité puis reporta son attention sur son verre, qu’il fit tournoyer entre ses doigts. Quelques secondes de plus passèrent avant que le Séraphin ne reprenne la parole, sans la regarder de prime abord.

« Nous nous sommes déjà croisés, n’est-ce pas ? »

Une gorgée de whisky plus tard et il tourna finalement la tête vers la jeune femme, le regard perçant, comme s’il tentait de trouver dans ses traits la réponse à sa question.

« Je n’oublie jamais un visage. Et je suis certain d’avoir déjà croisé le vôtre, Madame. »

Hawke Hawthorn.
Hawke laissait toujours une sacrée pagaille sur les champs de bataille. Il se battait fièrement, justement et surtout intelligemment. Ses flèches trouvaient toujours leurs cibles. Encore aujourd’hui, il reste l’un des seuls guerriers à m’avoir un jour impressionnée. Il semblait virevoltait comme le vent autour des soldats adverses, les bousculant sans retenue, les exterminant avec grâce. Bon nombre de fois, nous nous étions retrouvés côte à côte et j’avais constaté avec surprise que nos mouvements s’accordaient à la perfection. C’est ce qu’il était, ce qu’il avait en lui. L’âme du combat. Mais notre relation n’avait pas été une longue croisière tranquille.

Commandant des armées, il se devait de garder le contrôle de ses hommes et disons que j’avais décidé que je n’appartenais aux ordres de personne… Il semblait vouloir m’arracher la tête chaque fois que je débarquais sur le champ de bataille sans crier gare, sans même demander son autorisation, venant ainsi briser toutes ses belles stratégies militaires. Et puis finalement, il ne me disait jamais rien car on gagnait toujours. Mais bon nombre de fois, il avait semblé vouloir dire quelque chose puis s’était ravisé. Nos regards s’accrochaient toujours et il me semblait qu’inconsciemment nous nous cherchions dans les batailles. Plus d’une fois, je l’avais surpris m’observer avec fascination et je ne m’étais jamais caché pour faire de même. Car si Hawke était debout, alors l’armée pouvait encore tenir. Il représentait l’espoir pour ses hommes, et un pilier pour moi. Il n’avait jamais failli. Jamais.

Et la seule fois où j’avais montré une faiblesse, il avait réagit avec hargne. Un soldat adverse avait réussi à m’ouvrir le front avec sa hache avant que je ne réussisse à l’achever. Lorsque le combat était terminé, il avait fondu sur moi telle une tornade et m’avait attrapé le visage de ses mains avant de vérifier ma plaie méthodiquement. Finalement rassuré, il avait semblé retrouver son calme avant de souffler:

« Tu t’es bien battue mais tu dois être plus vigilante. Ta fougue est somptueuse mais tu dois la maîtriser. »

Puis il m’avait lâché et avait disparu l’instant d’après, disparaissant dans la foule l’air de rien. Pendant tout ce temps, Mirvian avait observé ça sans rien dire, un léger sourire aux lèvres, comme si il savait quelque chose que moi j’ignorais.

Revenant dans la réalité au son de la voix du séraphin, je releva le visage vers lui, plutôt satisfaite de constater qu’il avait l’air profondément troublé. Je me contenta seulement d’hocher la tête à sa question, me disant que si je restais silencieuse, il finirait peut être par me laisser tranquille.

Visiblement, la Séraphine avait décidé de ne pas le laisser entendre le son de sa voix. Il en fallait bien plus pour déstabiliser Hawke, qui se mit à sourire d'un air amusé devant son silence persistant avant de vider son verre d'une traite et de lever un doigt vers son collègue afin d'en obtenir un second. Raph lui sourit en retour, désignant la jeune femme d'un air lourd de questions et le Séraphin lui répondit silencieusement en agitant la main, l'air de dire qu'il contrôlait la situation. Sans rien rajouter de prime abord, il se retourna et s'adossa contre le bar, son nouveau verre en main, observant la foule quelques secondes. S'il semblait ne plus s'intéresser à sa voisine, la réalité était toute autre et son cerveau turbinait à toute vitesse. Il détestait ne pas savoir. Il détestait ne pas se souvenir. Et pourtant, s'il n'était pas parvenu à identifier la nouvelle venue tout de suite, il avait senti quelque chose au plus profond de lui qui l'empêchait de laisser tomber, comme s'il l'avait inconsciemment reconnue.

La scène dura ainsi quelques instants lorsque, tout à coup, les sourcils du Séraphin se froncèrent et il posa sur sa voisine un regard inquisiteur. Elle maintenait le regard vissé droit sur son verre, comme si elle sentait qu'il l'observait, et Hawke sembla soudainement se rappeler de quelque chose. Pivotant de nouveau vers le bar, il y déposa son verre sans beaucoup de ménagement et, sans laisser le temps à sa voisine de réaliser ce qui se passait, il approcha sa main de son visage, posa ses doigts sur son menton et le fit pivoter vers lui. Aussitôt, ses yeux se posèrent sur son front, ne prêtant aucune attention au regard courroucé que lui lançait certainement la jeune femme et son autre main vint délicatement décaler une mèche de cheveux qui dissimulait ce qu'il cherchait. Et un sourire victorieux naquit doucement sur son visage lorsqu'il aperçut la petite cicatrice sur le front de la Séraphine, vestige d'un passé commun qu'ils semblaient tous deux avoir tenté de fuir. Sa voix ne fut qu'un souffle lorsque, son regard accrochant celui de la jeune femme qu'il avait finalement reconnu, il prononça ce simple mot :

"Davasora..."

Je vissa mon regard à mon verre de vin avant d’en prendre une gorgée. Je sentais le regard de Hawke sur moi, bien qu’il semblait jouer la carte de la personne qui se détourne enfin. Mon regard glissa sur lui tandis qu’il observait le bar. Il n’avait pas changé. Grand, des épaules carrés, des cheveux bruns repoussés en arrière, des petites fossettes sur le coin des joues. Hawke avait toujours été attirant mais là comme ça, adossé au bar, un verre à la main, il semblait être le genre de héros sorti tout droit d’un bouquin fantastique prêt à se battre jusqu’à la mort contre une armée de dragons. J’observa de nouveau mon verre. J’hésitais entre deux sentiments. J’étais de prime abord légèrement vexée qu’il ne m’ai pas reconnu. Après tout, on avait vécue des choses fortes tous les deux, mais manifestement tout n’avait pas la même signification d’une personne à une autre. À cet instant, j’étais toujours là gamine de 23 ans qui avait jouer à compter les victimes sur le champs de bataille, vexée d’avoir été oublié aussi facilement. Et d’un autre côté, j’étais rassurée de savoir qu’il ne me reconnaissait pas. Après tout, ça compliquerait les choses et j’avais besoin de tout sauf de quelque chose de compliqué.

Plongée dans mes pensées, je ne le sentis pas fondre vers moi avant qu’il n’attrape mon menton du bout de ses doigts. Lentement, comme si le temps s’était suspendu, il releva mon visage vers lui. Le souffle coupé, je n’osais pas esquissais le moindre mouvement. On s’était rarement tenus aussi proche par le passé et je pouvais même sentir son souffle erratique sur mon visage. J’écarquilla les yeux alors que sa main venait s’enrouler dans les cheveux encadrant mon front avant de les dégager lentement. Un fin sourire se dessina sur ses lèvres alors que je compris qu’il avait également comprit. Et la façon dont mon nom, mon vrai nom se murmurait dans sa bouche fit accélérer de façon tambourinante les battements de mon cœur. Sa main resta en place sur ma joue tandis que mon souffle rejoignis finalement le sien.

Devais-je nier ? Non; cela ne servait à rien. Il savait qui j’étais et je ne pouvais prétendre plus longtemps être une autre. Ma main trouva la sienne avant de la dégager de mon visage, la posant sur ma cuisse.

« Bonjour Hawke. »

Le destin pouvait parfois se montrer joueur, Hawke l’avait bien compris depuis longtemps. Mais il ne savait pas s’il avait décidé de lui faire une faveur ou de lui jouer un bien vilain tour en remettant cette femme sur sa route. La Davasora, comme elle était surnommée alors. Cette combattante émérite qui l’avait tant fait criser sur le champ de bataille, toujours à n’en faire qu’à sa tête. Mais étrangement, il avait toujours eu une totale confiance en elle. Lorsqu’elle combattait à ses côtés, il savait que leurs ennemis n’avaient aucune chance. Ils n’avaient jamais réellement été proches, ou pas comme deux amis pourraient l’être. Mais le Séraphin avait toujours senti un lien très particulier avec elle, un lien qui semblait se tendre à chaque fois que leurs regards se croisaient. Un lien inexplicable et qui ne s’était pas atténué avec le temps, à en juger par cette petite cordelette qui sembla de nouveau se tendre entre eux alors que leurs regards s’accrochaient. Lorsque la main de la jeune femme vint se poser sur la sienne afin de la dégager de son visage, le sourire du Fae se fit plus amusé et il attrapa de nouveau son verre, posé sur le comptoir, sans pour autant quitter la jeune femme des yeux. Il parcourut son visage sans s’en priver tout en prenant une gorgée de son verre puis laissa passer quelques secondes de plus avant de lui répondre finalement, sa voix se baissant d’un ton instinctivement, comme s’il voulait que leur conversation n’appartienne qu’à eux.

« Navré pour mon temps de réaction. Je ne m’attendais pas à te croiser ici, à dire vrai. »

Et c’était la stricte vérité. Après sa disparition, quelques siècles auparavant, Hawke n’avait plus entendu parler de la jeune femme, comme si elle avait simplement disparu de la surface du monde. Il s’était parfois interrogé à propos de ce qu’elle était devenue, espérant peut-être la recroiser un jour. Étrangement, ses pensées semblaient parfois dévier naturellement vers elle, laissant quelques souvenirs sporadiques remonter à la surface, sans raison particulière, mais il n’en avait jamais parlé à qui que ce soit. Pas même à Raph, dont il ne pouvait ignorer les regards qu’il leur lançait depuis l’arrière du comptoir, sans rien laisser paraître. L’homme était plus que conscient qu’il ferait certainement l’objet d’un interrogatoire poussé ultérieurement mais il n’en avait que faire pour le moment. Il avait bien d’autres priorités. Comme savoir ce que la jeune femme était devenue, depuis tout ce temps.

« Où étais-tu passée ? »

Le brun se dégagea légèrement sans pour autant lâcher mon regard. Un sourire franc fleurissait à présent sur ses lèvres tandis qu’il rattrapait son verre. Mon geste se joignit au sien et je fis de même, finissant ce dernier avant de le reposer brusquement sur le bar. J’étais agacée. Comment se faisait-il que j’eu pu passer presque 2000 ans sans jamais croiser la moindre âme compromettante sur mon chemin … et alors que je me trouvais à Astredore depuis deux mois, le destin semblait me rattraper en une seconde pour se fracasser contre ma porte pourtant verrouillée férocement ?! Et comment expliquer que depuis l’instant où j’étais entré dans ce bar, mon cœur n’avait toujours pas ralentis sa cadence, se rappelant à moi comme un petit diable posé sur mon épaule. Des siècles passés à se cacher de tout le monde pour finalement croiser l’un de ceux que je redoutais le plus. Étrangement et alors que j’aurais pu en douter, j’avais une confiance absolue en Hawke. Je savais que jamais il ne me dénoncerais aux hauts commandants séraphins. Se pouvait-il même d’ailleurs qu’il soit au courant de ce qui m’étais arrivé ? J’en doutais. Toute cette tragédie avait été passé sous silence et c’est ce silence qui m’avais permis de rester cachée aussi longtemps.

Soufflant longuement, je laisse mon regard parcourir son visage, nullement étonnée de constater qu’il faisait de même. C’est comme si les pièces du puzzle se re emboîtées de façon parfaitement naturelle. Notre danse reprenait tranquillement là où nous l’avions laissé il y a des siècles. À sa question, je le sentis se rapprocher, comme si après avoir été séparés pendant si longtemps, à présent nous nous réclamions sans même le savoir. Je souffla de nouveau avant de laisser mon regard vagabonder furtivement dans le bar, à la recherche d’une échappatoire.

« On ne peut pas parler ici. »

Hawke était pleinement conscient que son interlocutrice le dévisageait autant que lui le faisait mais cela ne le dérangeait guère. A vrai dire, il n’y avait jamais eu grand chose qui l’avait dérangé avec elle. Hormis son besoin irrationnel de lui tenir tête et de s’opposer à toute forme de hiérarchie, notamment sur le champ de bataille. Mais même cela, il le lui pardonnait aisément. Elle l’agaçait fortement lorsqu’elle se comportait ainsi, il ne pouvait prétendre le contraire, mais son entêtement lui donnait un certain charme. C’était d’ailleurs la seule qu’il laissait se comporter ainsi avec lui. L’entièreté des Séraphins devaient connaître son nom et savait qu’il n’était pas homme à se laisser marcher dessus. C’était ce qui lui avait valu cette réputation aussi féroce.

Finalement, elle lui répondit et le brun ne se rendit compte qu’ils avaient réduit l’espace qui les séparait qu’en sentant le parfum délicat de la jeune femme venir lui chatouiller les narines. Sans mot dire, il se contenta de hocher la tête et se tourna brièvement vers son collègue et ami, lui indiquant par un regard qu’il s’absentait. Pour cela aussi, il savait aussi qu’il aurait droit à son lot de questions, mais c’était un problème dont il se chargerait plus tard. Pour le moment, il avait bien mieux à faire. Il planta de nouveau son regard dans celui de la jeune femme, lui intimant silencieusement de le suivre et lui tendit la main comme par réflexe, comme s’il avait peur qu’elle tente de s’enfuir de nouveau. Il sembla hesiter l’espace d'un instant puis finalement, posa délicatement sa main sur le coude de la jeune femme, pour la guider.Et lorsqu’elle se fut levée, il la mena jusqu’aux escaliers qui se trouvaient au fond de la salle et qui menaient tout droit à son bureau, dont il ouvrit la porte avant de s’écarter pour laisser passer la jeune femme. Il s’engouffra à sa suite, non sans avoir vérifié au préalable que personne ne les avait suivis puis il referma sa porte avant de s’y adosser, sans quitter la jeune femme du regard. Autour d’eux, l’air sembla se raréfier alors qu’ils se trouvaient seuls pour la première fois depuis des siècles et il l’observa longuement sans mot dire avant de finalement briser le silence qui les entourait.

« C’est grave à ce point ? »

Hawke fronça légèrement les sourcils, semblant peser le pour et le contre. Il se contenta d’hocher la tête avant d’échanger un regard complice avec le barman. J’aurais pu mettre ma main à couper que ces deux là étaient des bons amis, il n’y avait aucun doute là dessus. Finalement, le séraphin se tourna de nouveau vers moi. Mon regard suivit ses mouvements tandis qu’il semblait hésiter. Je bloqua ma respiration tandis que sa main se levait doucement vers moi avant de se poser avec la plus grande précaution sur mon coude, me tirant légèrement vers lui. Débloquant finalement ma respiration, je me leva avant de le suivre. À l’aide dans ce lieu, il emprunta l’escalier à l’arrière du bar avant de finalement ouvrir la porte d’une pièce à l’étage dans laquelle il m’invita à entrer.

Un bureau. Un bureau qui selon les goûts décoratifs appartenait à Hawke. Je compris alors soudain que le bar était la propriété du jeune homme, ce qui expliquait son attitude ainsi que les liens qu’il semblait entretenir avec le barman, qui était manifestement son ami ainsi que son employé. Ce dernier s’adossa à la porte, me laissant vagabonder dans l’espace sans jamais me quitter des yeux. Je m’éloigna dès lors, désireuse de mettre de l’espace avec cette personne qui avait occupé beaucoup de mes pensées durant ces quelques siècles de séparation. Je sentais son regard brûler mon dos. Son bureau était simple, ordonné, un peu sombre, à son image, un grand raie de lumière illuminait la pièce des rayons de soleil qui arrivaient à filtrer paresseusement à travers les rideaux. J’avança vers la fenêtre et tira légèrement les rideaux. L’espace s’ouvrait sur un balcon qui donnais vu sur la ville. En tournant la tête vers la droite, je me rendis compte que d’ici on voyait la fenêtre de mon appartement, qui se tenait à 100 mètres à peine. Je ricana finalement, amusée par cette terrible coïncidence. Sans même me retourner, je répondis à la question du grand brun.

« Disons que ce n’est pas une histoire amusante. Qu’est-ce que tu veux savoir exactement ? »

A aucun moment, son regard ne quitta la jeune femme qu'il suivit silencieusement des yeux, tandis qu'elle avançait doucement dans son bureau. Il l'observa sans bouger, alors qu'elle prenait connaissance de cette pièce, de son antre personnelle, celle où personne ne mettait jamais les pieds, en dehors de Raph et lui. L'ombre d'un rictus amusé vint brièvement étirer la commissure de ses lèvres. Comme il était étrange que la première personne qu'il ait jamais autorisé à venir ici était cette femme là ! Il se reprit toutefois bien vite, reprenant son air sérieux tandis qu'elle ouvrait les rideaux et son propre regard se perdit un instant à l'extérieur alors qu'elle se perdait dans la contemplation de la vue qu'offrait son balcon. Il aurait été mensonger de prétendre qu'il n'aurait pas apprécié être en mesure de connaître la teneur de ses pensées actuellement. Ou plutôt, depuis qu'ils s'étaient retrouvés au bar, quelques instants plus tôt. Elle avait toujours représenté un mystère pour lui, même à l'époque où ils combattait férocement ensemble. Et Hawke avait bien l'intention de percer, un jour, le secret de ses pensées.

Finalement, la voix de la Séraphine se fit de nouveau entendre et Hawke l'observa un instant, ou plutôt observa son dos, puisqu'elle n'avait toujours pas consenti à se retourner vers lui. Mais sans être en mesure d'apercevoir son regard à cet instant précis, l'homme savait, en son for intérieur, que l'histoire qu'elle s'apprêtait à lui raconter n'aurait rien de bien plaisant. Sans mot dire, il se décolla de la porte et fit quelques pas vers elle, enfouissant les mains dans ses poches. Il s'arrêta à hauteur de son bureau, sans la quitter des yeux, et finit par lâcher, dans un souffle :

"Raconte moi tout."

Le temps sembla se figer tandis qu’Hawke formuler finalement à voix haute son désir. Ma main resta figée sur le rideau alors tous mes centaines de vies défilaient sous mes yeux en une fraction de seconde. Devrais-je être totalement transparente ? Peut être. En avais-je envie ? Pas vraiment. Il était certain que Hawke avait ma plus entière confiance mais il y avait tout de même certains détails de mon existence que j’avais envie de passer sous silence car on ne raconte jamais à personne les choses qui nous ont réellement brisées.

Soufflant longuement, je me décida à me retourner car tandis que j’allais étaler ma vie à cette personne qui n’attendais que ça, je voulais voir son visage. Je m’adossa à la fenêtre tandis que mon regard plongeait dans le sien. Il s’était rapproché et je ne l’avais pas entendu faire, trop absorbé par mes pensées. Il s’appuyait désormais à son bureau et attendait patiemment, immobile, son regard accroché au mien. Ou plutôt, c’était le mien qui s’accrochait au sien, je m’y accrochais comme à une bouée de sauvetage, essayant de puiser dans la force que me témoignais Hawke pour raconter tout ce que j’avais à raconter sans flancher. Je devais restée debout, restée forte.

Je souffla une dernière fois pour me donner du courage. Je déballa tout. La fin de Morac, mon arrestation, la façon dont je m’étais battu pour ma vie contre les forces armées séraphine, ma miraculeuse fuite. Toutes les vies qui en avaient suivies, cachée de tout, cachée des hauts commandants, mes multiples changements de noms ainsi que celui sous lequel j’étais connue aujourd’hui, ce que je trafiquais au grand conseil… Seul deux détails restèrent sous silence. Les visions qui me polluaient la vie depuis des centaines d’années. Mes ailes … Ça, c’était mon jardin secret. Les cicatrices qui avaient déformées mon dos devaient restées pour moi et uniquement pour moi.

Je resta silencieuse pendant une bonne minute après ça. Je sentais toujours le regard du séraphin sur moi mais je baissa alors les yeux, incapable de témoigner de la moindre force à ce moment là, montrant pour le première fois depuis que j’étais entré dans ce bureau de la vulnérabilité. Je fixais le sol, triturant mes mains.

« Tu sais, j’ai voulu y retourner ce jour là… Pour Mirvian. Mais je suis arrivée trop tard. Ils l’ont abattu. J’ai tout vu de là où j’étais. Je n’ai pas pu le sauver … »